LE TRAMAPATTE DE BRUXELLES

 

Le tramapatte est une tentative de réaliser un dessin sur un support en mouvement qui procède d’une approche de décomposition en phases cinétiques de manière à ajouter une animation à la représentation de son déplacement. Les deux côtés du tramapatte sont baignés dans les différentes lumières de jour et de la soirée, surprenant le public par ces variations. À partir d’un même dessin, Luc et François Schuiten sont partis chacun de leur côté, gauche et droit, pour interpréter de manière personnelle leur partie, avec leur univers graphique. Une moitié de la rame se décline en une structure organique pour se transformer en une articulation biomécanique. La rencontre se fait au milieu, puis chacun continue sur le dessin de l’autre afin d’atténuer les différences et de rendre l’œuvre homogène. À la question sur le sens de cette étonnante métamorphose d’un tram en millepatte, les auteurs nous ont répondu ceci ; « Si la nature n’a jamais inventé la roue, c’est pour des raisons écologiques !  Pour bien rouler, la roue a besoin de routes, d’autoroutes ou de rails, de ponts, tunnels, et viaducs. Ceci représente une dépense de matériaux et d’énergie considérable sans rapport avec les gains. 

À cela, il faut ajouter les effets dévastateurs de la rupture des réseaux naturels souterrains, racinaires et hydrauliques, ainsi que le morcèlement du territoire, rendant difficile voir impossible le déplacement de la faune sur toute leur zone d’habitation endémique. Les pattes sont une invention bien plus intelligente, car elles permettent des déplacements tous terrains sans devoir passer par l’installation d’infrastructures. Les pattes montent les escaliers, traversent aisément les petits cours d’eau, grimpent les montagnes, sautent au-dessus des crevasses, sans causer de dommages à l’environnement. » Le tramapatte par l’originalité de son stickage évoque cette piste de réflexion, vers un futur résolument écologique, et non sans une pointe d’humour. C’est la première explication qui nous a été donnée par les frères Schuiten sur cette fantasmagorique œuvre picturale, mais ils n’en sont pas restés là; « nous pouvons aussi voir ce travail comme un monument funéraire mobile, rendant hommage à nos chers disparus de la sixième extinction massive des espèces, due aux méfaits de l’anthropocène. Chaque grande guerre dévastatrice a son lot de monuments aux morts, pourquoi pas la biodiversité ? »